Le Journal d'Anne Frank, 1947

["Le papier est plus patient que les hommes. " Ce dicton me traversa l’esprit alors qu’un jour de légère mélancolie je m’ennuyais à cent sous l’heure, la tête appuyée sur les mains, trop cafardeuse pour me décider à sortir ou à rester chez moi. Oui, en effet, le papier est patient, et, comme je présume que personne ne se souciera de cahier cartonné dignement intitulé Journal, je n’ai aucune intention de jamais le faire lire, à moins que je ne rencontre dans ma vie l’Ami ou l’Amie à qui le montrer. Me voilà arrivée au point de départ, à l’idée de commencer ce Journal : je n’ai pas d’amie.

Afin d’être plus claire, je m’explique encore. Personne ne voudra croire qu’une fillette de treize ans se trouve seule au monde. D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait vrai : j’ai des parents que j’aime beaucoup et une sœur de seize ans ; j’ai, tout compte fait, une trentaine de camarades parmi lesquels de soi-disant amies ; j’ai des admirateurs à la pelle qui me suivent du regard, tandis que ceux qui, en classe, sont mal placés pour me voir, tentent de saisir mon image à l’aide d’une petite lampe de poche. J’ai de la famille, d’aimables oncles et tantes, un foyer agréable, non, il ne me manque rien apparemment, sauf l’Amie. Avec mes camarades, je ne puis que m’amuser, rien de plus.Je ne parviens jamais à parler avec eux d’autres choses que de banalités, même avec une de mes amies, car il nous est impossible de devenir plus intimes, c’est là le hic. Ce manque de confiance est peut-être mon défaut à moi. En tout cas, je me trouve devant un fait accompli, et c’est assez dommage de ne pas pouvoir l’ignorer.

C’est là la raison d’être de ce Journal. Afin de mieux évoquer l’image que je me fais d’une amie longuement attendue, je ne veux pas me limiter à de simples faits, comme le font tant d’autres, mais je désire que ce Journal personnifie l’Amie. Et cette amie s’appellera Kitty.]

 

Extrait du Journal d'Anne Frank

 

 

Anne parle dans son journal des persécutions que les Juifs ont subies pendant la guerre :

"Samedi 20 juin 1942

 

|(...) Comme on ne comprendra rien à ce que je raconte à Kitty si je commence de but en blanc, il faut que je résume l'histoire de ma vie, quoi qu'il m'en coûte. Mon père, le plus chou des petits papas que j'aie jamais rencontrés, avait déjà trente-six ans quand il a épousé ma père, qui en avait alors vingt-cinq. Ma soeur Margot est née en 1926 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Le 12 juin 1929, c'était mon tour. J'ai habité Francfort jusqu'à l'âge de quatre ans. Comme nous sommes juifs à cent pour cent, mon père est venu en Hollande en 1933, où il a été nommé directeur de la société néerlandaise Opekta, spécialisée dans la préparation de confitures. Ma mère, Edith Frank-Hollander, est venue venue le rejoindre en septembre. Margot et moi sommes allées à Aix-la-Chapelle, où habitait notre grand-mère. Mragot est venue en Hollande en décembre et moi en février et on m'a mise sur la table, parmi les cadeaux d"anniversaire de Margot.

Peu de temps après, je suis entrée à la maternelle de l'école Montessori, la sixième. J'y suis restée jusqu'à six ans, puis je suis allée au cours préparatoire en CM2, je me suis retrouvée avec la directrice, Mme Kuperus, nous nous sommes fait des adieux déchirants à la fin de l'année scolaire et nous avons pleuré toutes les deux, parce que j'ai été admise au lycée juif où va aussi Margot. Notre vie a connu les tensions qu'on imagine, puisque les lois antijuives de Hitler n'ont pas épargné les membres de la famille qui étaient restés en Allemagne. En 1938, après les pogroms (*), mes deux oncles, les frères de maman, ont pris la fuite et se sont retrouvés sains et saufs en Amérique du Nord, ma grand-mère est venue s'installer chez nous, elle avait alors soixante-treize ans.

A partir de mai 1940, c'en était fini du bon temps, d'abord la guerre, la capitulation, l'entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les lois antijuives se sont succédé sont interruption et notre liberté de mouvement fut de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l'étoile jaune; les juifs doivent rendre leurs vélos, les juifs n'ont pas le droit de prendre le tram; les juifs n'ont pas le droit de circuler en autobus, ni même dans une voiture particulière; les juifs ne peuvent faire leurs courses que de trois heures à cinq heures, les juifs ne peuvent aller que chez un coiffeur juif; les juifs n'ont pas le droit de sortir dans la rue de huit heures du soir à six heures du matin; les juifs n'ont pas le droit de fréquenter les théatres, les cinémas et autres lieux de divertissement; les juifs n'ont pas le droit d'aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey ou à d'autres sports; les juifs n'ont pas le droit de faire de l'aviron; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public. Les juifs n'ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des amis après huit heures du soir; les juifs n'ont pas le droit d'entrer chez des chrétiens; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire ceci ou de faire cela. Jacques me disait toujours: "Je n'ose plus rien faire, j'ai peur que ce soit interdit." (...)"]

 

(*) Pogrom: un pogrom est une manifestation de violence raciste contre les Juifs. Ici, Anne parle de la Nuit de Cristal en novembre 1938 en Allemagne au cours de laquelle toutes les synagogues furent détruites et des milliers de Juifs arrêtés ou molestés.

 

Extrait du journal d'Anne Frank

 

 

 

 

 

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